Or donc, en cet an de grâce deux mille dix-neuf, nous partîmes six sans* peur et sans reproches, qui sur de longues lattes, qui chaussés d’astucieux élargissements articulés de leurs chaussures, laissant derrière nous le confort mollissant du MOB au lieu-dit les Cases pour rejoindre l’alpage de Naye d’en Haut, sis dans la partie haute et glabre de toute sylve de la combe de Bonaudon, au beau mitan d’icelle. Etant partis outre le coucher de l’astre solaire, nous mîmes à profit la pâle lueur de notre sélénite presque gibbeuse pour nous orienter tant bien que mal sur une sente sauvage et fort encombrée de vernes, franchissant sans grand détour une pente effroyable, lourde de neige profonde cédant sous nos pas, puis entrecoupée de rochers abruptes, avançant en haletant sous nos pesantes charges, nous enfonçant tant et plus dans la forêt ancestrale, où nous ne vîmes guère plus de traces de créatures vivantes que celles du loup, du lièvre et de quelque ongulé, à n’en pas douter mieux orientés que nous autres pauvres ères errants. Nous efforçant, avec l’aide de nos frêles faisceaux lumineux, de percer l’épaisse noirceur projetée au sol par les hautes futaies, nous ne dûmes notre salut qu’à l’heureuse initiative d’un certain Hermann Siegfried, lequel, près d’un siècle avant notre humble naissance, entreprit de dresser la cartographie de ce noble pays et ne négligea point de reporter sur ses esquisses ladite sente, dont il ne restait en cette nuit, il faut bien l’avouer, que de rares vestiges épars, que nous n’aurions que très péniblement et au prix de moult efforts pu suivre valablement sans l’aide providentielle de l’ordinophone de notre guide (non pas spirituel, mais local, ce qui est déjà pas si mal). C’est donc au terme d’une épopée nocturne aussi sinueuse qu’erratique que nous parvînmes enfin en vue de la salutaire masure qui allait nous accueillir pour un repas chaud et une nuit réparatrice, fourbus, mais heureux d’avoir pu, grâce à Dieu, nous extraire du piège diabolique fomenté par on ne sait quel esprit retors, où nous aurions aussi bien pu périr au cœur d’une forêt hostile, à demi ensevelis dans la neige, la gueule béante d’où ne sortirait plus aucun son, les yeux écarquillés, recherchant désespérément une ultime lueur lunaire entre les branches serrées de la pessière, et où bien peu d’humains auraient possédé le courage, que dis-je, la témérité de s’aventurer à nous porter secours, à supposer même qu’il aient eu quelque chance de nous retrouver. Bref, une sympathique balade au clair de lune.
*En lisant d’une traite, on entendra « nous partîmes six cent ». Bon, ça, c’est plutôt pour les lettreux.