– Par Tristan –
C’était en février 2016, lors de l’AG. David a parlé d’aller faire un gouffre dont le nom m’évoquait un mastodonte des Pyrénées sûrement profond, et en effet, il parlait du BU56. Alors bon, c’était encore de la musique d’avenir, la chose est donc sortie de mon esprit assez vite.
Presque un an plus tard, je commence à entendre parler de gîte, d’un autre gouffre mais toujours assez profond pour se sentir fatigué en y pensant. Et là les choses commencent à se concrétiser lorsque l’on voit une topo :
Tout s’éclaire alors… La Pierre Saint-Martin (PSM ou Pierre pour les intimes), les rivières, Martel, Tazieff. Et oui la Pierre c’est pas n’importe quoi ! Par rapport à l’immensité qui est contenue dans cette montagne, descendre un peu du Lonné Peyret ce n’est pas grand chose, mais après expérience, c’est un aperçu de première qualité !
Après un peu d’organisation, une comptabilité de corde pour être sûr d’en avoir assez, quelques malheureuses défections et 1000 [km] de route, le camp a commencé lors d’une des dernières semaines de juillet.
Nous logeons dans un gîte loué à Licq-Athérey, à 40 minutes de route de la Pierre Saint-Martin. Le gîte est bien vivant, avec Denis, Jérôme, Pascal et leurs familles, Patrick, Guilhem et moi-même, et complété quelques jours plus tard, Johan, du Spéléo Club des Préalpes Fribourgeoises, qui nous avait aidé lors de l’initiation universitaire au Pré d’Aubonne.
Le début du séjour commence tranquillement en coupant et marquant la nouvelle corde que l’on inaugurera dans le Lonné Peyret :
Nous prenons les premiers jours pour visiter un peu les villages alentours et faire une balade sur la Pierre, dans le brouillard (et c’est aussi l’occasion d’aller refaire un éclairage à Patrick qui refuse de descendre au Lonné Peyret avec un éclairage de rechange du club). Le mardi, Guilhem, Patrick et moi descendons pour équiper une partie des puits pour alléger la grosse sortie à venir. Après quelques errances dans le brouillard, on tombe un peu par hasard sur une belle faille bien profonde qui se trouve être l’entrée. L’équipement commence, et on a alors l’agréable surprise d’équiper des puits propres et spacieux et surtout, tous brochés exactement où il faut. Nous arrêtons d’équiper vers -225 [m] quand l’on se trouve au-dessus de deux verticales totalisant les 100 [m] finaux avant d’atteindre les galeries. Le mercredi est l’occasion de faire une sortie familiales ainsi qu’avec Johan qui nous a rejoint à la Salle de la Verna. Accessible sans avoir à descendre 1000 [m] depuis l’entrée de Tête Sauvages, elle reste impressionnante, le volume étant bien mis en valeur par l’éclairage essentiellement installé sur des mannequins. Un petit groupe ira se balader en amont dans des sortes de vallées souterraines (les Titans des Fées semblent bien petits) avant de sortir rechercher le soleil avant la grande sortie.
– Par Jérôme –
Cette fois c’est décidé, la visite du gouffre sera pour le lendemain, la météo s’annonce stable et nous avons pu faire les sorties préalables nécessaires, le repérage de l’entrée et l’équipement des puits jusqu’à -200 m pour les uns (plus jeunes) le mardi et une sortie réglage à la même cote pour les autres (les anciens) le lendemain. Tout s’annonce pour le mieux, malgré deux défections de dernière minute et bien qu’une équipe de spéléos français se soit finalement désistée pour le déséquipement… il va falloir assurer.
Derniers préparatifs en soirée, une certaine fébrilité est palpable, les kits sont vérifiés et la bouffe est répartie entre les bidons étanches dans lesquels on rajoute quelques éléments qui pourront s’avérer utiles (topo et description plastifiées, bougies, trousse de secours, etc.)
Réveil matinal au gite à Atherey dans la vallée et petit déjeuner rapidement engloutis, puis c’est parti pour la route en lacets qui mène à la bergerie à proximité du gouffre, juste au-dessus de la station de la Pierre-St-Martin, sur l’itinéraire qui mène en Espagne.
C’est donc finalement à cinq (Patrick, Tristan, Guilhem, Johan et Jérôme) que nous partons équipés et chargés à travers les verts pâturages qui mènent au beau lapiaz dans lequel s’ouvre la petite entrée du GL 102… Un beau soleil nous accompagne.
Patrick, Tristan et Guilhem partent devant pour continuer l’équipement des puits (deux P 50 pour arriver à la rivière) alors qu’avec Johan nous nous prélassons encore un peu sur les dalles de lapiaz… Derniers réglages et c’est à notre tour de nous engouffrer dans la fissure d’entrée qui ne s’élargit qu’au-dessous des 10-15 premiers mètres. Trente-quatre mètres plus bas, un P50 peu large fait suite puis l’on rejoint une enfilade de puits spacieux creusés dans un beau calcaire sombre veiné de calcite. Ça sent le gros gouffre ! parois et sols sont immaculés, pas un gramme de boue ou d’argile ne vient ternir cet univers minéral.
Nous nous retrouvons tous à -200 m pour encourager Tristan à l’équipement : des fractionnements bien choisis permettent d’entrecouper la descente des deux P50 successifs, le premier très allongé sur une grosse fracture, le second plus en rondeur… Une telle stratégie s’avérera payante à la remontée !
En bas des puits, le bruit de la rivière devient perceptible et c’est avec une excitation certaine que nous en gagnons les berges… en fait essentiellement constituées de gros blocs. Le collecteur a de l’allure : un bon 30 m de large pour quasi autant de haut et une eau translucide et torrentueuse qui se faufile entre les rochers. Ceux-ci seront notre pain quotidien pour les 15 heures à venir jusqu’à en devenir notre calvaire.
La galerie est tellement spacieuse que l’on croit pour un moment progresser déjà dans le chaos des Titans jusqu’à ce que nous rejoignions la première cascade de 6 m qui permet de nous situer sans équivoque sur le plan. En effet, c’est au bas de la chute que débute le véritable chaos qui porte bien son nom : blocs de la taille d’une maison, galerie de dimensions hors normes, et d’incessantes montées et descentes pour contourner les secteurs trop escarpés. Nous exprimons une petite pensée pour les premiers explorateurs qui ont dû connaitre d’immenses joies de découvrir de tels volumes mais en même temps de sérieuses difficultés pour identifier le bon itinéraire avec leurs éclairages acétylène d’une autre époque… Nous avons la chance de découvrir des passages bien balisés (rue balise & bandes réfléchissantes) et nos éclairages Led balaient loin devant et permettent également de bien voir de part et d’autre de la galerie.
Au-delà du chaos des Titans, première erreur d’aiguillage puisque nous cherchons d’abord à suivre la rivière avant de se rabattre sur le bon passage en rive gauche qui ne se livre qu’après plusieurs hésitations : il faut chercher toujours plus haut… Quelques cordes en place permettent de franchir le secteur du campement des premiers explorateurs puis de rejoindre l’Embarcadère à la cote -500 m. Cette fois, plus le choix, il faut se revêtir de l’habillement adéquat pour affronter les eaux fraiches de la Pierre. Nous en profitons pour prendre une première collation et laissons un peu de matériel pour le retour.
Et voilà, c’est parti pour les secteurs les plus aquatiques de la visite, les uns progressent en néoprène et un privilégié a revêtu sa combi étanche… Une première voie d’eau dans un conduit oblong et cupulé nous met dans l’ambiance ; la rivière est ensuite absorbée en rive droite par une fissure et la progression se fait dans une galerie sèche en période d’étiage aboutissant à un ressaut vertical de 8 m qui est (mal !) équipé ; ce ressaut sera surnommé le Ressaut des Guignols… Le fractio juste sous la vire en fait suer plus d’un mais ça passe et l’on retrouve la rivière très vite pour attaquer un secteur de toute beauté : des plans inclinés ripolinés et corrodés rendent la rivière tumultueuse, alternance de rapides et petites cascades.
Même dans les cavités de la Pierre, les bonnes choses ont une fin puisque de gros blocs effondrés mettent un terme à cette partie de plaisir et nous annonce l’arrivée dans le Grand Chaos… La première partie est évidente et bien balisée puis en haut d’une rampe, la tentation est grande de rejoindre la rivière en contrebas d’autant plus qu’une flèche à l’acéto nous y invite… Mauvais choix, car nous passons du temps à réaliser que la suite était en fait en face et qu’au lieu de descendre, il fallait remonter la pente de blocs… Ouf, il était moins une de trouver le bon passage car nous commencions à désespérer… La seconde partie du Grand Chaos est de constitution similaire avec des gros blocs partout et des pentes et contre-pentes permettant de contourner les obstacles.
Après un passage en désescalade entre de gros blocs enchevêtrés, nous pouvons enfin rejoindre la rivière et progresser au niveau de l’eau jusqu’à une dernière courte zone à blocs qui mène à la galerie terminale. Il s’agit d’un beau conduit rectangulaire dans lequel la rivière s’écoule de manière rectiligne. Bientôt, l’arrivée imminente à la salle Styx se fait sentir : la galerie s’élargit un peu et surtout, tout au fond, on voit comme une lucarne qui s’ouvre sur du noir… L’excitation est à son comble, le pas s’accélère, les sons raisonnent, ça se confirme, nous voilà arrivés à la salle Styx ! La lucarne débouche en effet dans un gros vide au sol remplis de gros blocs, la rivière se perd en contrebas, le plafond s’élève dans l’obscurité et le fond se perd dans les ténèbres… même les Led les plus puissantes ne permettent pas de dévoiler clairement la paroi terminale. Chaleureuses poignées de mains, une certaine émotion nous saisit, après tous ces mois de discussion et de préparatifs, nous l’avons fait ! On s’installe au milieu de la salle pour un premier repas chaud, soupe et noodle au menu.
Ce n’est pas tout, nous voilà à -700 m sous terre, et il va falloir remonter. On se dit que dans un proche avenir, privilégier des visites en traversée pourraient avoir du bon…
L’heure du retour a sonné : les passages clés sont retrouvés relativement facilement et c’est à nouveau un plaisir de franchir ces galeries aquatiques, ce mélange d’eau cristalline et de calcaire corrodé est du plus bel effet. Le franchissement du Ressaut des Guignols se fait en jurant puis nous arrivons à l’Embarcadère ou il s’agit de s’alléger de nos combinaisons (qui vont par contre alourdir les sacs). La soupe est servie et permet de réchauffer les organismes avant la suite qui s’annonce sportive…
On repart pour le Chaos des Titans, c’est long et fatiguant, plus de montées que de descentes, la fatigue se fait sentir. A plusieurs reprises on croit entendre la cascade de 6 m qui marquera la fin du Chaos. On finit par y arriver, son franchissement est aisé et il nous reste plus que la première galerie à remonter. Une dernière collation incluant thé chaud est organisée à l’endroit où l’on quitte la rivière puis on décide de remonter en deux groupes (comme à la descente) : Johan & Jérôme devant avec pour objectifs de ressortir sans trop souffrir puis de communiquer avec l’équipe de surface du bon dénouement de l’expé ; Patrick, Tristan & Ghuilhem à l’arrière pour le déséquipement d’au moins une partie des puits.
Les deux premiers compères progressent à leur rythme (lent…) jusqu’à la sortie et y arrivent aux alentours de 5 heures du matin, soit après 21 heures passées dans le gouffre. La seconde équipe sort environ 2 heures plus tard et réussit l’exploit de déséquiper l’intégralité du gouffre à trois, soit un total de 8 kits à ressortir… Bravo !
Plus qu’un petit portage jusqu’aux véhicules et nous regagnons le gite pour tenter de nous reposer après avoir repris quelques forces autour d’une bonne table… Pour chacun, l’aventure du Lonné Peyret restera certainement une expérience inoubliable mêlant beautés hypogées et efforts physiques au cœur d’un massif karstique mythique.