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Pompage à la Pachamama (SCVJ-SCN)
  • Date des sorties : Juillet 2018 – Octobre 2019
  • Cavité : Grande Perte du Pré de Rolle (dit Gouffre de la Pacha-Mama) (carte)
  • Participants : Denis Meylan, Paul Cardinaux, Mathieu Cretin, Arnaud Conne, Patrick Dürrer Delphine Bossuat, Ivan Geeninckx, Manu Cledat, Jules Reymond, Tristan Liardon, Oriane Albanèse, Léonard Cornuz
  • But : Vider et élargir le siphon terminal à -62 m
  • Auteur de l’article :  Léonard Cornuz
  • Site internet du Spéléo-Club de Nyon

Mués par la fascination de plusieurs spéléos depuis sa découverte en 2004, de nombreuses sorties ont été faites à la perte/gouffre de la Pachamama. Avec son accès facile en toutes saisons, son magnifique Puits du Menhir propre, son méandre lisse suivi d’un petit P8 , c’est la cavité facile pour les débutants en initiation verticale. Ces visites se sont toujours soldées par une visite du petit méandre avec son siphon terminal, de sa petite cascade le remplissant, quelques hypothèses étaient régulièrement faites sur le fond, suivis d’essais de creuse qui permettaient de déplacer ce bouchon argilo-sableux d’un côté à l’autre du P8 sans résultat. Une suite possible semblait compromise, les frères Briand avaient contrôlé le fond du petit siphon et avaient observé sous l’eau qu’il se terminait par une fissure descendante de 30 cm de large peu engageante.

Carte géologique 1:25’000 (© Swisstopo)

Contexte geologique et hydrogéologique

Régionalement, l’emplacement de ce gouffre est intéressant dû à sa proximité avec d’autres gouffres le long de la faille de Longirod, qui débouchent sur le drain du Marchairuz (Perrin & Luetscher, 2008). La Pachamama pourrait être un conduit de second-ordre qui rejoint aussi le drain du Marchairuz ou le drain de raccord en direction du gouffre du Petit-Pré. De plus, la petite faille à l’ouest sur les Crêtes qui déplace le Kimméridgien et le Portelandien (Marchant & Grosjean, 2004), le bassin fermé qui draine l’extrémité du Pré de Rolle en direction des dolines près de la cavité, des pendages différents proches les uns des autres, pourraient placer la perte de la Pachamama comme une grotte avec un potentiel intéressant. Pour le développement de la grotte, son axe NWW traverse perpendiculairement les calcaires du Kimméridgien et le siphon pourrait être dans les marnes à la limite supérieur du Séquanien (Briand, 2004, non publié). Le P8 est entouré à 360° par le petit méandre hélicoïdale du Reviens-y qui va rejoindre le siphon terminal coudé qui pourrait lui-aussi finir le tour complet et continuer dans l’axe principal. Pour la circulation d’eau, un bruit d’eau provient, sauf à l’étiage, d’un boyau impénétrable proche de l’entrée, cette circulation d’eau est potentiellement connectée à la petite cascade qui se jette dans le siphon. Lors de fortes précipitations, une arrivée au sommet du puits du Menhir rempli un petit lac qui déborde dans le puits du Menhir une fois rempli et rejoint le siphon par le bas du méandre par le P8.

Coupe de la Pachamama (modifiée d’après Briand, 2004)
Plan de la Pachamama (modifiée d’après Briand, 2004)

Basé sur ces éléments, les travaux prévus étaient d’abord d’élargir l’accès au siphon, d’abaisser le niveau du siphon temporairement pour faire circuler un courant d’air, puis d’élargir cette fissure coudée sur 5-6 m afin d’y passer. L’espoir était d’avoir un petit siphon suspendu, avec un volume derrière dans lequel le vider.

Travaux été 2018

Commencés en mai 2018, ils ont permis de poser une bâche dans l’alcôve d’où venait la petite cascade pour éviter de se faire mouiller à chaque passage mais aussi pour voir si le niveau d’eau du siphon allait changer. Une série de minages ont permis d’élargir l’accès jusqu’au siphon afin de passer plus facilement entre les câbles et tuyaux. Après chaque tir, les gaz remontaient rapidement dans la cavité (variations suivant la météo et la saison); la mise à feu était donc faite au sommet du puits du Menhir pour les éviter et le détecteur de monoxyde descendait en premier après chaque tir. Les tirs étaient séparés d’une semaine au moins pour laisser le temps à la cavité de s’aérer, avec des multiples panneaux d’avertissements à l’entrée. Cette inversion d’air très lente montrait que le siphon ne laissait pas passer le moindre courant d’air. L’électricité était amenée par des multiples rallonges depuis la génératrice du Spéléo Club Nyon en surface. L’eau était d’abord rejetée sur le fond du P8 qui semblait plus ou moins étanche (Vol. 1-2 m3 max.), puis dans un barrage improvisé avec de l’argile du méandre du Reviens-y (1 m3). Un premier essai de pompage s’est déroulé sur le 8 et le 17-18 juin 2018 avec les deux petites pompes de jardin du SCN. Ivan avait trouvé qu’il faisait légèrement plus frais et que l’atmosphère était moins moite lorsque le pompage était en cours, peut-être le signe d’un léger courant d’air ou simplement des embruns de l’eau déplacée. Malheureusement les 2 petits volumes disponibles n’ont pas suffit et l’eau a rapidement reflué dans le siphon. À l’issue de ces 2 week-ends, le niveau du siphon avait été abaissé de 30 cm au maximum. La bâche avait été vite arrachée de l’alcôve par la cascade aux premières fortes précipitations. La conclusion de la saison était qu’il fallait agrandir le volume de rétention à disposition, trouver une pompe plus puissante, faire sauter le coude du siphon pour travailler confortablement et mettre un câble électrique fixe et étanche pour percer facilement avec des mèches plus longues. La rétention d’eau pouvait se faire de plusieurs façons; en faisant un bassin fermé dans le puits du Menhir, ou même en remontant l’eau jusque dans un bassin sur le pâturage en plusieurs fois. La sécurité d’avoir des litres d’eau dans un puits supérieur et la colonne d’eau max. poussée par les pompes étaient les 2 majeurs problèmes à résoudre. La question sur l’évacuation des gaz de tir stagnants restait aussi entière à cause du prix onéreux de tuyaux d’aération pour pulser le volume d’air inférieur.

Frayeur du 17 mars 2019

Nous étions partis (Delphine, Mathieu, Léonard) pour faire un tir au siphon, pour poser cette ligne étanche jusqu’au fond et pour équiper le puits du Menhir hors-crue par une magnifique journée ensoleillée de mars : l’eau coulait à flot dans les ruisseaux qui bordaient les chemins, les avertissements de ne pas y aller avaient été multiples quand j’avais posé Oriane à son travail, le départ avait été tardif, j’étais convaincu que cela allait bien se passer. Après 15 min de marche chargés, nous avions atteint la grotte avec tout le matériel nécessaire et nous commençâmes à démêler le câble et à le tirer dans la cavité, il était à peine midi. Un bruit d’eau était audible dans le boyau près de l’entrée, mais lorsque nous arrivâmes dans le puits du Menhir, pas une goutte ne tombait dans le puits! Dans ces conditions, je pris la décision de continuer et de rester attentif si le débit viendrait à augmenter, tout en espérant équiper, une fois le minage fait, le passage hors-crue par les vires au sommet du P32 . Arrivés au fond, le dégagement du dernier tir fait, les trous avait à peine commencé à se faire que la cascade commença cracher et le niveau d’eau du siphon monta rapidement de 15-20 cm, noyant notre matériel. L’eau n’arrivait plus seulement de la petite cascade de l’alcôve, mais aussi par le méandre venant du puits du Menhir. Dans un mouvement naturel, nous retournions en hâte sur le Menhir pour voir une cascade déferlée dans le P32, il était 15h00. Après quelques discussions, nous restions emballés dans nos couvertures au sec dans le méandre en attendant une décrue car la cascade couvrait tout le puits. J’essayais de motiver mes 2 collègues mécontents en chantant, je chantais assez fort pour couvrir les plaintes de Mathieu qui ne voulait pas fêter ses 25 ans bloqué en grotte. J’essayais aussi de proposer différentes activités récréatives, comme des courses de vitesse dans le méandre, sans grand succès. La sensation d’être bloqué en grotte était toute nouvelle pour nous trois. Pour les secours, Oriane (de piquet) terminait son travail vers 21h00 et nous aurions des secours au pire dès qu’elle ne verrait pas sa voiture, que nous avions empruntée, revenir la chercher. Le temps de rassembler les affaires, de manger un bout, de noter les doléances de chacun, le débit commença déjà à diminuer par de grand souffles successifs et s’arrêta en quelques minutes seulement, il était 21h00. Mathieu fonça en flèche en surface pour appeler Oriane pendant que nous remontions les affaires avec Delphine. Mathieu rencontra Oriane sur le parking de la route du Marchairuz, elle n’avait heureusement pas réussi à appeler les Chefs d’Intervention de la Colonne 3. Nous avions vu la Pachamama en crue.

Travaux printemps-été 2019

Après la mésaventure du début d’année, des sorties mensuels de minage ont été faites pour continuer à dégager le tour du siphon en attendant un étiage acceptable pour commencer à pomper. Les derniers tirs faits dans/autour du siphon avec les mèches de 1 m du SCN n’ont permis que de briser la roche sur la moitié de la longueur du trou. De fines laminations argileuses beiges apparaissaient dans le banc de calcaire des parois, ce siphon était peut-être bel et bien là à cause des marnes sous-jacente qui jouaient le rôle de niveau semi-perméable. La décision était de quand même faire un test de pompage et d’essayer d’instaurer un courant d’air. Après avoir trouver en occasion une piscine de 7 m3, nous avions emprunté la petite pompe du Groupe Spéléo Lausanne (220 V, 1050 W, hauteur de refoulement: 47 m) et l’avions testée avec des tuyaux de sprinkler semi-rigides ( 32 mm) sur un silo haut de 25 m. Ce test permettait de stocker éventuellement l’eau dans un barrage dans le puits du Menhir (15 m3) avec des planches de coffrage tenues par des fers à béton, voir même de faire un bassin intermédiaire et de remonter l’eau jusqu’en surface. La protection civile de Morges nous avait donné quelques sacs de sable, utiles pour bloquer le méandre du Reviens-y et le remplir d’eau. La décision finale était de mettre la piscine au fond du P8. Quelques sorties nous ont permis de terrasser le fond du P8, d’amener la piscine et de l’amarrer aux parois. Nous avions un logo pour notre session de pompage de 2019: nous étions fin prêts à faire ce test.

Pompage du 9 juillet 2019

Nous (Jules, Léonard) étions descendus très rapidement après avoir enclenché la génératrice du SCN et avions lancé la pompe dans le siphon avant d’aller déplier la piscine. Les craquements suspects de la piscine sous tension étaient agréables à entendre et nous discussions légèrement du bénéfice de revente de cette dernière une fois l’opération terminée. Après quelques heures de pompage, le niveau du siphon s’était abaissé de 40-50 cm, mais la piscine commençait à être bien pleine. Dans un geste désespéré, nous sautâmes dans le Reviens-y pour faire un barrage avec des sacs de sable et pour pomper encore quelques m3. Le Reviens-y avait servi de latrines sur les dernières années et en hurlant nous replissâmes les sacs qui avait quand même une légère odeur qui ne donnait pas envie d’y revenir. Après quelques minutes, le barrage du Reviens-y débordait à son tour, nous stoppions la pompe. Aucun courant d’air ne s’était mis en place, le siphon au plus bas ne permettait pas d’entrevoir quelque chose de positif. Le siphon semble être donc un petit méandre étroit rempli avec plus de 8 m3.

Sortie du matériel le 13 octobre 2019

Après quelques soupirs, nous avions décidé d’aller sortir le matériel traînant au fond de la Pachamama et de conclure ce chapitre. En quelques heures à peine, des kilos tractés, de la haine contre le matériel qui se coince et des litres de sueurs, un amoncellement de matériel trônait fièrement dans le pâturage du Pré de Rolle.

Conclusion

Lors de ces différentes sorties, nous avons pu observer que le siphon peut monter de quelques dizaines de centimètres lors de crues, mais l’évacuation se fait et il y a peu de chances qu’il noie le bas de la cavité. Nous avons vu qu’une cascade peut se former rapidement dans le puits du Menhir une fois que les petits lacs débordent, que l’équipement hors-crue ne suffirait pas à éviter la douche. Et finalement, que le siphon terminal doit contenir plusieurs m3 d’eau sous forme de petites galeries noyées et que le minage est inefficace avec du brisant car absorbé par les niveaux argileux.

Merci à toutes et à tous pour votre aide pour ce projet, merci aux différents clubs pour leur participation pour ce test de pompage à la Perte de la Pachamama.

Bibliographie

  • Marchant R., Grosjean G., 2004. Roches et paysages du Parc jurassien vaudois avec quatre itinéraires géologiques. Le Brassus : Imprimerie Baudat, 89 p.
  • Perrin, J., Luetscher, M., 2008. Inference of the structure of karst conduits using quantitative tracer tests and geological information: example of the Swiss Jura. Hydrogeology Journal 16, 951–967. https://doi.org/10.1007/s10040-008-0281-6

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