Bon ben, vous vous doutez déjà qu’une réputation peut être sujette à caution. Voici l’histoire.
Après la précédente reconnaissance, je m’étais abondamment renseigné, et la plupart des gouffres de ce lapiaz étaient censés n’avoir pas été descendus. Dont le 131.
Fin octobre, par un week-end d’une douceur tout sauf habituelle, nous montons donc à trois avec la ferme intention de pousser l’exploration de ce 131 le plus loin possible. Deux semaines plus tôt, j’avais déjà monté une centaine de mètres de cordes, de quoi voir venir. L’un d’entre-nous étant encore novice en matière d’équipement, on commence par lui faire mettre un spit au puits d’entrée, histoire de pouvoir se partager le travail par la suite. Je descends alors avec un kit de cordes pour équiper un peu mieux les deux puits déjà descendus la dernière fois et aborder le suivant.
Premier couac : après avoir foré le trou du spit au sommet du deuxième puits, le manche de mon vieux marteau casse au ras de la panne. J’arrive tout juste à mettre en place le spit avec le cône. Il va falloir improviser pour la suite. Heureusement, j’emporte toujours quelques pitons pour placer des déviations. Au puits suivant, je tâtonne avec divers pitons avant de trouver une fissurer bien placée qui en accepte un. Je l’enfonce avec un caillou jusqu’à ce qu’il chante. Une anse dans la roche sert de second amarrage, et je peux installer la corde pour descendre. Ouf, on pourra au moins aller au-delà de l’arrêt de la dernière fois.
Au bas de ce nouveau puits, un amoncellement de grosses pierres. Zut, ça ne se présente pas bien. Mais entre deux blocs, on devine un peu de noir. Je me glisse dans l’interstice et descends encore quelques mètres dans un conduit étroit, avant de buter sur un nouveau puits. Au lancer du caillou, je l’estime entre 15 et 20 mètres de profondeur. Si je n’avais pas cassé le marteau, on pourrait l’équiper et continuer à explorer ce gouffre, qui devient décidément très prometteur.
En remontant à travers le conduit étroit, je tombe sur un peu de fil blanc, à moitié coincé entre les cailloux. Tiens, aurais-je perdu un fil de ma combi ? Mais non, ma combi n’a pas de tels fils. Intrigué, je montre ma trouvaille aux deux autres. Un fil topo, utilisé autrefois pour mesurer les distances ? Bizarre, d’après tous les renseignements recueillis, ce gouffre était réputé inexploré. Un deuxième équipier descend jusqu’au sommet du puits au-delà du conduit étroit. Et là, il avise un vieux spit. Cette fois-ci, le doute n’est plus permis : une équipe est bien venue dans ce gouffre, l’a équipé, exploré et topographié – mais n’a laissé aucune trace de ses travaux dans une quelconque archive ou publication.
Je suis dépité, furieux. Ce qui nous semblait il y a quelques minutes encore de l’exploration, avec son lot de suspens et d’émotions liées à la découverte de paysages que nous pensions inconnus et inviolés depuis la nuit des temps, n’était en fait qu’un stupide errement dans quelques vides de roche foulés depuis belle lurette par une poignée de spéléos qui se fichaient complètement de partager leurs résultats. Tout le plaisir qu’on a eu à descendre ces puits, tout l’espoir de belles premières s’est brisé, volatilisé, dissout dans une immense amertume. Nous avons été floués. Bande de petits salopards !
Le lendemain matin, nous avons malgré tout une belle surprise: le bouquetin qui apparaissait le soir sur l’arête au-dessus du lac de Ténéhet est venu nous dire un petit bonjour, probablement curieux de la présence de ces drôles de bêtes à deux pattes.
Niveau spéléo, il ne ne nous reste plus qu’à prospecter avec un bout de nouille, en espérant trouver des amarrages naturels. Nous repérons toute une série de trous, marqués ou non. Résultat: il faudra revenir – avec un marteau plus solide!
Dans le haut du lapiaz, nous tombons sur un niveau de galeries laissées par des vers fouisseurs dans la vase qui allait devenir le calcaire Urgonien et qui ont été remplies de sable, probablement de la formation de Garschella.
Et dans le lac du Ténéhet, qui nous sert de ressource en eau, nous comptons une bonne trentaine de copépodes rouges par litre d’eau (c’est-à-dire les mâles, les femelles étant transparentes et donc pratiquement invisibles). Si leur répartition est homogène dans les quelque 26’500 m3 du lac, ça nous fait dans les 800 millions de copépodes. Sans compter les femelles. Nous avons certainement bu quelques centaines de ces petits crustacés de quelques dixièmes de millimètres. Un peu de protéines bienvenues.